Par Antoine Boudreau LeBlanc (M.Sc., PhD(c), Université de Montréal, département de bioéthique)
L’éthique, les données et la santé peuvent prendre plusieurs formes et formules compte tenu de leur interaction dynamique et complexe, et de la diversité des acteurs concernés. La définition et les considérants de chacun d’eux évoluent d’ailleurs avec le développement des sciences, des technologies et des sociétés. Indéniablement, l’épisode récent de la COVID-19 nous oblige à approfondir leur sens. Nous devons, désormais, avoir appris que la santé transcende la (dé)limitation humaine – les pathogènes peuvent émerger de l’environnement par l’intermédiaire de réservoirs d’espèces animales nous étant peu familières, c.-à-d. les zoonoses. Plus encore, les politiques de protection des données personnelles peuvent être rapidement levées en situation de crises afin d’appuyer des efforts internationaux de biosurveillance compromettant les mesures de sécurité et les conditions d’utilisation de ces dernières causant divers risques et effets secondaires inattendus. Ainsi, la COVID-19 rend tangibles les impératifs éthiques du principe de précaution appelant à l’action préventive et à la protection de l’environnement, qui sont ancrés dans la responsabilité éthique de mener des études et de réviser les décisions politiques à la lumière de nouvelles sources de preuves. Elle soulève aussi les possibles dérives éthiques en matière de promotion de la dignité humaine et de la protection des personnes ainsi que des communautés vulnérables, qui peuvent être marginalisées par des interventions universalistes fondées sur des analyses utilitaires simplistes venant renforcer les iniquités préexistantes.
Une piste de solution pour prévenir ces reculs appréhendés en éthique et pour accélérer les réponses aux problèmes émergents de santé est d’investir, en amont des crises, dans la résilience des systèmes en société. Renforcer les canaux de communication, de transferts de connaissances et de traduction des savoirs entre les parties prenantes clés de la société devient désormais la stratégie à préconiser. Toutefois, ceci doit être complété par un partage des responsabilités – un passage de la centralisation à la décentralisation du pouvoir et de la prise de décision – pour accélérer une prise de responsabilité coordonnée et ainsi une action diversifiée en réponse aux problèmes dès leurs émergences. Ce renforcement implique des théories, des modèles et des plans précis de changement, de gestion et d’actions pour appréhender les risques sanitaires ainsi qu’éthiques sur les personnes et les écosystèmes. Il implique aussi leur accessibilité (transparence) pour diversifier les perspectives prenant part à leur conception et venant forcer l’imputabilité des acteurs. La logique collective devrait être positive: un apprentissage se développant au rythme des crises et non à la remorque de ces dernières, incitant à la génération de solutions et à une prise de responsabilités partagées devenues dès lors collectives.
La valeur de ces mécanismes de résilience dépend, cependant, de plusieurs conditions d’application. La complexité des systèmes de collaborations, de communications et d’innovations oblige une attention posée en amont sur l’éthique des relations entre les parties prenantes, dont les conflits d’intérêts. Une réponse éthique des conflits d’intérêts passe par la prévention et la gestion continue de ceux-ci, et par une responsabilisation de toutes les parties prenantes. L’interaction grandissante entre les secteurs académiques, technologiques et publics oblige de porter davantage ces réflexions éthiques au cœur des débats publics de société afin d’orienter le développement en santé et des données par une éthique de pratique toujours actualisée.
Texte issu de la Table ronde « Les données et la santé : passé, présent… futur ? » du 23 avril 2021, en vidéoconférence, organisée par le programme DataSanté.
Congrès de la Société française d’histoire des sciences et des techniques Montpellier, 21 – 23 avril 2021 (voir plus d’informations).